«Nous pensions tous que nous n’allions pas nous en sortir. C’était comme un cauchemar.» Depuis son lit d’hôpital au Chili, Christian Aldridge, 41 ans, originaire de Newquay dans les Cornouailles, a livré au Times un témoignage poignant sur la tragédie qui s’est jouée le 17 novembre dans le parc national Torres del Paine, en Patagonie chilienne.
Ce jour-là, une tempête de neige d’une violence rare, avec des vents dépassant les 193 km/h selon Reuters (soit l’équivalent d’un ouragan de catégorie 3), a frappé le col John Gardner, point culminant du trek à 1200 mètres d’altitude, ôtant la vie de cinq randonneurs. Parmi les victimes, l’une de ses amies : la Britannique Victoria Bond, 40 ans, originaire de Truro et responsable des relations publiques pour Visit Isles of Scilly. Comme elle, les Allemands Nadine Lichey et Andreas Von Pein, ainsi que les Mexicains Cristina Calvillo Tovar et Julian Garcia Pimentel n’ont pas survécu.
Passer la publicité«C’était suffocant»
Victoria Bond et Christian Aldridge n’étaient pas seuls sur ce sentier réputé. Avec trois autres amis britanniques, tous des «randonneurs semi-expérimentés ayant fait des treks himalayens jusqu’à 5500 mètres», ils tentaient de parcourir le circuit O : un itinéraire de 135 kilomètres sur huit jours. Au quatrième jour de leur aventure, une tempête s’est abattue, transformant la neige molle des flancs en glace. Le petit groupe progressait alors aux côtés d’environ trente autres randonneurs vers le col John Gardner, sans s’attendre au piège mortel qui les guettait au sommet.
«J’ai beaucoup de mal à exprimer à quel point c’était horrible, confie le survivant au Times. C’était suffocant, un vent si puissant qu’il fallait s’asseoir, se recroqueviller en boule et lui tourner le dos pour ne pas être projeté dans la montagne. Je ne pouvais pas respirer avec la glace et la neige qui me fouettaient le visage.»
À ce moment-là, le groupe de randonneurs, à trois kilomètres de son camp de base, juge plus prudent de continuer l’ascension sur environ un kilomètre et demi pour tenter de rallier un refuge. Ils découvriront trop tard que l’abri est fermé. Et pour cause : le jour du drame, aucun garde n’était présent dans le parc pour surveiller les conditions météorologiques. La raison ? Le vote obligatoire à l’élection présidentielle chilienne. «Ils auraient dû évaluer les conditions et fermer cette route dangereuse», martèle Aldridge.
Une montagne transformée en «patinoire»
Alors que les conditions météorologiques se détériorent, le groupe décide de rebrousser chemin et entame la descente. Objectif : rejoindre le camp de Los Perros, qu’ils avaient quitté à 5h30 ce matin-là. «La descente de cette montagne était une véritable patinoire», se remémore le Britannique, toujours dans les colonnes du quotidien anglais. «Je suis tombé, j’ai dévalé la montagne et je me suis dit : “C’est définitivement fini pour moi.”» Pour stopper sa glissade, Aldridge s’accroche à des rochers et parvient à s’arrêter. «Des personnes glissaient aussi le long de la montagne. C’était le chaos. On n’y voyait presque rien.»
Malgré l’horreur de la situation, l’entraide règne parmi les randonneurs. «Il n’y avait ni cris ni hurlements», se souvient le Britannique. Un Américain lui prête même son bâton de marche et lui confectionne des gants de fortune à l’aide de chaussettes pour protéger ses mains gelées. Coûte que coûte, Aldridge continue sa descente. Mais Victoria manque à l’appel. «Un ami pensait que Victoria était peut-être derrière nous. Puis, un couple nous a dit être les derniers et qu’il n’y avait personne au-dessus d’eux. Nous sommes retournés vérifier, mais nous n’avons vu personne d’autre et nous avons continué notre descente en espérant qu’elle soit plus bas.»
Passer la publicitéArrivé au camp de base, le groupe ne retrouve pas la trace de Victoria. Quelques autres personnes sont aussi portées disparues. Face à l’urgence, les randonneurs organisent eux-mêmes les secours. «C’était de la folie de devoir organiser notre propre équipe de recherche», déplore Aldridge, qui reproche au personnel du camp de ne tenir «aucune trace des personnes montées ou descendues, ni même de registre des inscriptions».
«On passe des crises de larmes à la culpabilité»
Les survivants finissent par retrouver plusieurs victimes. Une Mexicaine est découverte consciente mais incapable de se lever. Transportée sur une civière de fortune, «fabriquée à partir de nattes, d’une bâche et de bâtons de marche attachés avec de la ficelle», elle succombe à un arrêt cardiaque. Une Allemande est aussi retrouvée. En hypothermie sévère, elle meurt sur la montagne malgré les tentatives pour la réchauffer avec trois sacs de couchage. Les corps de Victoria Bond et d’un autre randonneur ne seront, quant à eux, repérés que le lendemain par les gardes du parc. «Avant que l’hélicoptère [de secours] ne vienne nous chercher, nous avons regardé la montagne, dit quelques mots à propos de notre amie Victoria avant de beaucoup pleurer. C’était comme être dans un film d’horreur.»
Aujourd’hui hospitalisé, Christian Aldridge souffre d’engelures aux mains. Depuis le drame, le groupe de rescapés britanniques dit traverser des «émotions extrêmes». «On passe des crises de larmes à la culpabilité car on a l’impression d’avoir laissé tomber [Victoria], et parfois on ressent de la gratitude pour avoir survécu. Depuis l’accident, nous ne nous sommes pas quittés d’une semelle. Du moins, jusqu’à ce qu’on nous ait placés dans des lits d’hôpital séparés.»
De son côté, Mauricio Ruiz, directeur régional de la Conaf, l’Office national des forêts chilien, a reconnu auprès des médias locaux une «malheureuse coïncidence» avec le jour du vote, qualifiant la tempête d’«imprévisible».