Sa collection exceptionnelle est exposée à Orléans : rencontre avec Antoine Béal, un passionné d'art ancien qui n'a pas peur des voleurs

La proposition, tout à fait inhabituelle, est arrivée en juillet. Un collectionneur d'art nous proposait de visiter son appartement avant le décrochage d'une soixantaine de tableaux qui seraient prêtés au musée des Beaux-Arts d'Orléans à l'occasion d'une exposition organisée jusqu'au 29 mars 2026. Le jour J, nous sommes une poignée de journalistes à nous rendre sur place, intrigués.

Antoine Béal vit au centre de Paris, dans le quartier des Arts et métiers, à quelques encâblures du musée du Louvre. La cage d'escalier de son immeuble haussmannien, aux murs délabrés, aurait besoin d'un petit rafraîchissement. Son appartement, bâti sur deux niveaux, est également "dans son jus" pour user d'une expression familière.

Une vraie caverne d'Ali Baba

Antoine Béal nous accueille en chemisette, souriant et décontracté. Les murs de l'entrée sont littéralement recouverts de tableaux de toutes tailles, une vingtaine au total, jusqu'au plafond. Un petit escalier en bois descend ensuite vers le salon, lui aussi entièrement tapissé de toiles plus ou moins imposantes. Il abrite aussi des objets d'art : céramiques, pendules, sculptures, meubles. Une vraie caverne d'Ali Baba dont il partage les initiales. Quand on lui demande s'il ne craint pas les 40 voleurs, Antoine Béal balaie le danger d'une formule : "C'est invendable, intransportable".

Olivia Voisin, la directrice des musées d'Orléans, présente lors de cette visite, acquiesce. "Tous ces tableaux qu'il achète chez des marchands ou en ventes publiques sont connus et répertoriés, explique-t-elle. Aujourd'hui, ce qui se vole, c'est surtout l'or et les bijoux". Le spectaculaire cambriolage du musée du Louvre lui donnera raison. Antoine Béal confie qu'il a une alarme, mais que "l'immeuble n'est pas particulièrement protégé". Son assureur doit se frotter les mains. La grande passion du collectionneur est la peinture du XVIIe siècle, même s'il "pousse" parfois jusqu'au XIXe. "L'impressionnisme est ma limite", plaisante-t-il. "Je dirais que je possède une soixantaine de tableaux."

Antoine Béal présente l'un des portraits de sa collection : "Odalisque" de Francesco Hayez, une huile sur toile peinte vers 1840-1845. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Antoine Béal présente l'un des portraits de sa collection : "Odalisque" de Francesco Hayez, une huile sur toile peinte vers 1840-1845. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Retraité depuis 2020, cet homme de 71 ans originaire du Pas-de-Calais était juge administratif au Conseil d'état et professeur de droit. Il reste magistrat honoraire au tribunal de Paris et travaille pour deux encyclopédies juridiques. Il a fréquenté les musées avec ses parents dès son plus jeune âge et était encore étudiant lorsqu'il a acheté ses premiers dessins, revendus depuis. Il se fournit beaucoup chez Drouot où l'on peut selon lui "faire de très bonnes affaires en achetant des choses que les gens n'ont pas vues". Il se rend aussi chez Artcurial et Sotheby's. Cet homme affable insiste pour nous montrer sa cuisine, très vintage, à l'image du reste de cet appartement d'une centaine de mètres carrés où il vit depuis 1999.

Dans cette pièce étonnante, les murs sont là encore bardés de tableaux, jusqu'aux recoins les plus improbables. Le paysage italien de Romain-Étienne-Gabriel Prieur, La Voie des tombeaux, est si grand (voir photo) qu'il a fallu le faire passer par la fenêtre en le hissant depuis la cour intérieure de l'immeuble. "Tous les tableaux entrent et sortent par l'escalier. Ce sont les cadres qui posent problème, raconte-t-il. On décadre les toiles pour éviter le danger de tamponnage et de déchirure. Et on utilise un élévateur pour passer les cadres par la porte-fenêtre du balcon." Lorsqu'on s'inquiète pour la conservation des toiles dans cette pièce, il plaisante : "Il est rare que je fasse la cuisine. Je ne fais pas de frites, mais principalement du thé et des pâtes. Quand je petit-déjeune ici, je regarde les tableaux et c'est très agréable".

La cuisine du collectionneur Antoine Béal à Paris, le 10 juillet 2025, avec, à droite, "La Voie des tombeaux" de Romain-Étienne-Gabriel Prieur, une huile sur toile qu'il a donnée sous réserve d'usufruit au musée du Louvre. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
La cuisine du collectionneur Antoine Béal à Paris, le 10 juillet 2025, avec, à droite, "La Voie des tombeaux" de Romain-Étienne-Gabriel Prieur, une huile sur toile qu'il a donnée sous réserve d'usufruit au musée du Louvre. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Ce juriste, expert en droit public, pratique le don sous réserve d'usufruit. "Le principe est très simple, explique-t-il. Les tableaux que je donne à certains musées, je n'en ai plus la propriété, je ne peux plus les vendre, mais j'en conserve l'usage. C'est-à-dire que le tableau est chez moi, je peux le prêter. À ma mort seulement, les tableaux que j'ai donnés iront aux musées." Il ajoute : "Je peux aussi renoncer à l'usufruit. C'est arrivé pour un tableau que j'ai donné au Louvre. Il est maintenant exposé dans les salles du XIXe siècle."

Le collectionneur, célibataire sans enfants, ajoute que ce procédé a des "conséquences fiscales, notamment un abattement de 50% en réserve d'usufruit, 60% passé un certain âge, alors qu'il est de 100% quand vous donnez directement le tableau au musée". Il assure que s'il ne le fait pas pour cette raison, il apprécie ce procédé qui lui permet de déduire de grosses sommes de son imposition sur le revenu. "J'ai donné six tableaux au Louvre, trois au musée d'Orléans, deux à Rennes, un à Montargis, un à Montpellier, un à Amiens, un à Lyon, un à Strasbourg, soit un sixième de ma collection environ", compte-t-il.

La directrice des musées d'Orléans, Olivia Voisin, précise qu'Antoine Béal a fait connaître cette manière de donner. "Se dessaisir d'un tableau que l'on aime est toujours difficile, confie la conservatrice, alors le don sous réserve d'usufruit est une bonne formule. Cela permet de créer des liens étroits avec le musée et de s'inscrire dans l'histoire du lieu".

Antoine Béal dans le salon de son appartement parisien, le 10 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)
Antoine Béal dans le salon de son appartement parisien, le 10 juillet 2025. (VALERIE GAGET / FRANCEINFO CULTURE)

Quatre mois passent. Nous retrouvons Antoine Béal sur un quai de la gare d'Austerlitz à Paris, le 17 novembre, en partance pour Orléans. Il nous raconte qu'une soixantaine de tableaux ont été décrochés des murs de son appartement pour rejoindre avec son mobilier le musée des Beaux-Arts de la ville. Sa collection y est pour la première fois révélée dans son intégralité. Il a assisté au montage et au vernissage et compte profiter de l'exposition pour faire repeindre de fond en comble son appartement. En parcourant les salles du musée d'Orléans, il confie : "Je ne dirais pas que je redécouvre mes tableaux, mais ainsi accrochés et éclairés, je les vois différemment."

Tous les trois ans environ, le musée d'Orléans expose des collections privées particulières. "Orléans est une ville de collectionneurs, explique la directrice, citant Eudoxe Marcille. Notre musée a ouvert il y a 200 ans grâce à un appel aux dons lancé en décembre 1823. Le lien aux collectionneurs est dans l'ADN du musée. Ils n'ont pas disparu et continuent aujourd'hui encore de donner au musée."

L'amour du grand format

"Antoine Béal a le courage d'acheter des tableaux de musée", souligne Olivia Voisin. Ce qui frappe chez lui, c'est cet amour du grand format. Il ne se pose pas la question de la place disponible". Antoine Béal nuance : "Je ne me la pose un peu plus maintenant." "On peut vous rendre service", répond-elle du tac au tac. Lecteur assidu de Proust et grand amateur de puzzles, Antoine Béal part souvent à la recherche des pièces manquantes des collections publiques. Il donne pour combler des lacunes.

"Le musée d'Orléans n'avait pas de grand tableau de François-Joseph Navez, un peintre belge du XIXe siècle, un élève de David, il va en avoir un", annonce-t-il fièrement. Il nous montre alors cette toile de 1840 mesurant 1,67 mètre sur 2,33 mètres. "C'est un tableau extraordinaire, L'obole de la veuve, une scène religieuse rarement représentée". Il a aussi offert en 2018, sous réserve d'usufruit, un surprenant tableau qu'Auguste Couder, Frédégonde et Chilpéric, dans son cadre d'origine. Au musée du Louvre, "parce qu'il n'en avait pas", le collectionneur a donné une œuvre de Nicolas Mignard, L'Enlèvement de Proserpine, datée de 1651. Il a aussi offert au plus grand musée du monde le tableau de Gabriel Prieur accroché dans sa cuisine. "J'ai dû le payer 20 000 euros dans une vente Aguttes, il y a très longtemps, à l'époque bénie où il y avait 11% de frais", dit-il en toussant.

François-Joseph Navez, "L'Obole de la veuve", 1840, huile sur toile, 167x233 cm, Paris, don sous réserve d'usufruit au musée des Beaux-Arts d'Orléans. (COLLECTION ANTOINE BEAL)
François-Joseph Navez, "L'Obole de la veuve", 1840, huile sur toile, 167x233 cm, Paris, don sous réserve d'usufruit au musée des Beaux-Arts d'Orléans. (COLLECTION ANTOINE BEAL)

Antoine Béal a des goûts pluriels et pointus, mais son cœur bat surtout pour la peinture de genre historique romantique. Il raconte son premier coup de foudre pour Claudius Jacquand, devant une superbe toile datée de 1838, Le Jeune Gaston, dit l'Ange de Foix (offert au musée du Louvre). Il s'extasie devant Odalisque de Francesco Hayez, un paysage oriental de Théodore Caruelle d'Aligny ou encore le Portrait de Domenico Antonio par Henri Lehman, l'une des splendeurs de l'exposition. Pour chacune des œuvres, il a un souvenir ou une anecdote à raconter.

Seules cinq toiles ont été légèrement restaurées, car cet amateur d'art éclairé achète "toujours en bon état". Il ne fait pas partie des collectionneurs parieurs. Préférant miser sur des valeurs sûres, il ne revend pas ses tableaux pour spéculer. Et quand il participe aux enchères, il se fixe une limite haute et s'y tient, quoi qu'il arrive. "Je n'aime pas négocier", avoue-t-il. 6 000, 15 000, 150 000 euros... le prix qu'il est prêt à verser dépend bien entendu de la taille du tableau et des recherches qu'il mène en amont. Son dernier coup de foudre s'est produit pendant le montage de l'exposition. Il n'a pas su résister à La Courtoisie du chevalier Bayard de Nicolas-Guy Brenet, superbe tableau, bien qu'incomplet, de 1783. La toile a rejoint en dernière minute les cimaises de l'exposition orléanaise. Quand on aime, on ne compte pas !

"L'art de transmettre. La collection Antoine Béal" au musée des Beaux-Arts d'Orléans jusqu'au 29 mars 2026, ouvert du mardi au vendredi de 10 à 18h, le jeudi de 10 à 20h et le dimanche de 13 à 18h. Tarif plein 8 euros, tarif réduit 4 euros. Gratuit le premier dimanche du mois.