Quel avenir pour le programme d'avion de combat européen, né en 2017 avec la France et l'Allemagne puis rejoint par l'Espagne ? La ministre des Armées, Catherine Vautrin, a rencontré son homologue allemand, Boris Pistorius, lundi 17 novembre, et Emmanuel Macron s'est entretenu avec le chancelier allemand, Friedrich Merz, mardi après-midi à Berlin. D'après Les Echos, le projet de système de combat aérien du futur (Scaf) devait être l'un des sujets au cœur de ces échanges.
Il y a "urgence" à faire progresser ce programme, a insisté Catherine Vautrin vendredi, lors d'un déplacement en Espagne. Même tonalité du côté du président de la République, qui a déclaré mardi soir qu'il y a "une obligation de résultat", après son entrevue avec Friedrich Merz. A l'horizon 2040, le Scaf doit en effet permettre le remplacement du Rafale en France et de l'Eurofighter pour l'Allemagne et l'Espagne, et ce au moins jusqu'en 2080, selon un rapport d'information du Sénat. L'initiative, qui vise à renforcer la défense du Vieux Continent, est toutefois ralentie par des désaccords et tensions entre les industriels en charge du projet : Dassault du côté français, et Airbus du côté allemand et espagnol.
Courant septembre, Friedrich Merz avait assuré que l'Allemagne et l'Espagne souhaitaient "essayer d'arriver à une solution d'ici fin 2025". "La situation actuelle n'est pas satisfaisante. Nous n'avançons pas sur ce projet", a convenu le chancelier allemand. Franceinfo vous résume pourquoi ce plan a du plomb dans l'aile.
Parce que Dassault "aimerait avoir les clés pour le piloter"
Comme le souligne Le Monde, le groupe Dassault Aviation entend être reconnu comme "leader" dans le projet d'avion de combat de nouvelle génération, malgré une gouvernance à parts égales entre Paris, Berlin et Madrid. "Le PDG, Eric Trappier, explique qu'il y a une logique politique dans ce projet, avec le fait qu'il soit bien réparti entre les partenaires, expose auprès de franceinfo Jacob Ross, chercheur au centre Europe du Conseil allemand des relations étrangères (DGAP). Mais pour lui, il vaut mieux laisser la main à Dassault sur le cœur du projet, si Paris souhaite un avion de combat performant au début des années 2040."
"Mes partenaires ne reconnaissent pas que je suis le leader", a avancé le PDG de Dassault Aviation le 24 septembre, lors d'une audition devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. "Ça ne sert à rien de faire des papiers, de mettre des milliards sur la table, si ce type de compréhension n'est pas reconnu", a-t-il ajouté, soulignant que "nous savons faire tout seuls".
"Je ne fais pas de coup à trois bandes. Je ne sais pas faire et je n’en ai pas besoin. (...) Le coup, avec le Scaf, il est simple : je demande la réalité de pouvoir exercer un métier d’architecte."
Eric Trappier, PDG de Dassault Aviationlors d'une audition à l'Assemblée nationale
Face aux députés, Eric Trappier a déploré des "difficultés (...) de tout ordre", y compris "une opposition entre Dassault et Airbus sur le sujet". "Je ne suis pas contre le projet Scaf. Mais, quand même, quand l’Allemagne dit : 'On va exclure les Français', ça ne vous fait rien, vous, les politiques français ?", a-t-il lancé. Et le PDG d'ajouter : "L’Allemagne va exclure les Français d’un projet d’avion de combat, tout ça parce que Dassault dit qu’il aimerait avoir les clés pour le piloter. C’est bizarre que vous ne réagissiez pas et que je sois le seul à réagir."
Interrogée sur le sujet par Europe 1, le 11 novembre, Catherine Vautrin a souligné que "celui qui est la référence en matière de construction, c'est évidemment Dassault". "A ce stade, il n'y a pas d'autre réponse en matière de moteur", a-t-elle ajouté.
Parce que Berlin ne veut pas de "diktat" français et réfléchit à d'autres partenariats
En évoquant l'hypothèse d'une mise à l'écart de la France, Eric Trappier faisait notamment référence à des informations parues dans la presse, une semaine plus tôt. Selon Politico, le ministère de la Défense a évoqué ses frustrations à l'égard des industriels français lors de discussions avec Airbus. D'après les informations du média, l'Allemagne réfléchit à bâtir de nouveaux partenariats en matière d'avions de combat, cette fois-ci sans la France.
L'Allemagne envisage notamment une coopération plus poussée avec la Suède, ou encore à entrer "très tardivement" dans le programme mondial d'avions de combat (GCAP), expose le chercheur Jacob Ross. Le projet GCAP, né en 2022, est mené par le Royaume-Uni, l'Italie et le Japon. L'objectif est d'aboutir à un avion de combat de nouvelle génération nommé "Tempest", à l'horizon 2035.
"Il y a une grande méfiance vis-à-vis de Dassault" à Berlin, analyse Jacob Ross. Outre-Rhin, l'industrie de défense française est vue par certains comme "imprégnée de culture souverainiste" dans le projet Scaf, note le chercheur. A l'image du député conservateur Volker Mayer-Lay, membre de la commission de la défense au Bundestag, le Parlement allemand. Paris "ne recherche pas le partenariat mais exige la subordination, a-t-il dénoncé, selon des propos cités par le site spécialisé Opex360. L’Allemagne n’a aucune raison de se plier à ce diktat."
Il y a certes [outre-Rhin] une conscience que l'Allemagne n'est pas capable de construire un avion de combat de manière autonome. Mais il y a une volonté de plus en plus affichée de se passer de la France et de Dassault.
Jacob Ross, chercheur au Conseil allemand des relations étrangèresà franceinfo
"Je crois que le Scaf ira de l'avant sans Dassault", a d'ailleurs déclaré fin septembre Thomas Pretzl, président du comité d'entreprise d'Airbus Defence, auprès du journal allemand Handelsblatt. "Il existe en Europe des partenaires plus attractifs et mieux adaptés", a-t-il souligné.
Eric Trappier, au contraire, a estimé à l'Assemblée que "c'est le Bundestag qui pilote" en Allemagne. "Et le Bundestag, qu’est-ce qu’il veut ? Il veut que son industriel, qu’il voit tous les jours, ait plus de travail que l’autre, a-t-il accusé. La compétence, savoir si l’avion va être efficace, ce n’est pas son sujet."
Parce qu'un projet remanié est envisagé
Face aux dissensions franco-allemandes, une nouvelle formule du Scaf pourrait finalement s'esquisser prochainement. D'après les informations du Financial Times, Paris et Berlin réfléchissent à un programme davantage centré autour du projet de "cloud de combat". Cette initiative a pour logique "de lier différents systèmes, avec des pilotes, des systèmes sans pilote [comme des drones], des systèmes terrestres, le tout avec une communication protégée", développe l'expert Jacob Ross.
Pour le chercheur, cette version remaniée "est une manière pour Emmanuel Macron et Friedrich Merz de sauver la face". "Cela permet de sortir de l'avion de combat de nouvelle génération, sans mettre en péril le Scaf. Paris et Berlin pourront dire qu'ils continuent avec le programme en développant ce cloud de combat."