Depuis début septembre, le Mali, et en particulier sa capitale Bamako, subit un blocus sur le carburant mis en place par le Groupe de soutien de l’islam et des musulmans (JNIM), mouvement terroriste affilié à Al-Qaida. Dans ce contexte de dégradation de la situation sécuritaire, un compte qui se présente comme un média d’actualité sur X publie le 7 novembre un post censé être alarmant pour le Mali, assurant que “la France appelle tous ses ressortissants à QUITTER le Mali IMMÉDIATEMENT" et se hasardant à une prédiction sensationnaliste, présentée avec un message écrit en lettres capitales : "LA CAPITALE BAMAKO POURRAIT TOMBER AUX MAINS DES DJIHADISTES DANS LES PROCHAINS JOURS“.
La source de la prédiction de la chute imminente de Bamako serait la chaîne d’information continue française BFM TV, affirme le média.
BFM parle d'un risque de changement de régime mais pas d'une chute imminente
Ce message est en partie trompeur. S'il est exact que le Quai d’Orsay a recommandé aux ressortissants français de quitter le Mali - en des termes un peu moins alarmistes, le ministère parlant d'un départ "temporaire", BFM n'a en revanche pas annoncé une chute imminente de Bamako.
Contactée par la rédaction des Observateurs de France 24, la chaîne confirme "qu'un de ses spécialistes a bien fait une chronique en plateau pour expliquer que la chute du régime [de Bamako] était un risque". La chaîne d'informations en continu insiste cependant :
"[notre journaliste] est resté factuel et [...] n'a pas annoncé ou pronostiqué officiellement [une chute de Bamako] sur notre antenne".
Le 6 novembre, François Clémenceau, éditorialiste en politique internationale à BFM, mène ainsi une chronique intitulée "Le Mali face au danger de tomber aux mains des jihadistes". Évoquant le blocus fomenté par le JNIM, le chroniqueur déclare que "les jihadistes sont en mesure de s'emparer du pays s'ils le voulaient. Ils ne le font pas pour l'instant parce que le rapport de force militaire n'est pas en leur faveur". Le journaliste évoque ensuite les différentes hypothèses pouvant mener à un changement de régime sans faire de prédiction temporelle.
Dans une autre chronique diffusée le 10 novembre, Annalisa Cappelini, journaliste à BFM déclare également qu'une chute immédiate de Bamako, du moins par des moyens militaires, est peu probable :
"Le JNIM n'a pas du tout la puissance militaire suffisante pour arriver à prendre Bamako. On parle de 5 000 à 6 000 miliciens tout au plus. Ce n'est vraiment pas possible à ce stade de faire tomber la capitale".
Même en difficulté, les Forces armées maliennes (FAMa) conservent en effet une large supériorité numérique face au JNIM. Selon une estimation rapportée par TV5Monde en octobre 2023, elles comptaient environ 40 000 hommes, soit plus de six fois le nombre de miliciens de JNIM.
Une chute imminente de Bamako peu probable selon les experts
Les experts interrogés par la rédaction des Observateurs estiment également que la prise prochaine de Bamako par le groupe jihadiste est un scénario peu probable. C’est ce qu’avance Brant Philip, analyste et chercheur spécialisé dans le jihadisme en Afrique de l'Ouest et contributeur au Counter-Extremism Project :
"Bamako ne risque probablement pas de tomber bientôt, et ce pour plusieurs raisons.
La plus évidente est la question militaire : le JNIM n’a pas assez de combattants ni d’armes pour prendre le contrôle de la garnison à l’intérieur de Bamako. On l’a vu à Kayes, le 1er juillet, lorsque l’armée y a tué des dizaines de militants qui tentaient d’attaquer des positions dans la ville. Malgré quelques attaques spectaculaires, le JNIM ne peut pas s’emparer de villes de la taille d’une capitale régionale comme Mopti. La guerre d’insurrection [actuellement menée par le JNIM] et la guerre conventionnelle sont très différentes, même si des petites localités comme Farabougou sont effectivement tombées de manière “conventionnelle”."
Un assaut conventionnel immédiat contre Bamako ne correspondrait pas à la doctrine militaire du JNIM, note par ailleurs Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute et enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis :
"[La stratégie du JNIM] n’est pas tant de voir tout de suite flotter le drapeau noir sur le palais de Koulouba [Le palais présidentiel malien, NDLR] qu'une stratégie d’étouffement progressif. [Pour le JNIM], la position réaliste est de ne pas essayer de prendre Bamako, mais de laisser Bamako s’effondrer d’elle-même, soit par des manifestations, soit par le chaos, soit par un changement de régime.
Ce n’est pas pour rien que le JNIM a commencé [à s'en prendre] à la région de Kayes, qui englobe 80 % des ressources de ce pays et où il y a des minerais stratégiques, mais aussi l’installation de sociétés étrangères — des Indiens, des Chinois — c’est-à-dire les seuls partenaires qui restaient encore, dans le but de fragiliser économiquement le pays et de faire ressortir l’idée que le pays n’est pas tenable, qu’il n’est pas économiquement viable.
Dans cette guerre économique, le fait de s’attaquer aux artères stratégiques comme l’axe Dakar–Bamako, vise à fragiliser l’économie, créer une pression économique qui pourrait pousser à faire s’effondrer le régime par lui-même."
La prise de Bamako politiquement compliquée pour le JNIM
Le scénario d'un effondrement soudain des forces armées maliennes, à l'image de l'armée de Bachar el-assad en 2024 en Syrie, ou des forces armées afghanes en 2021, n'est pas à écarter, mais reste, pour l'heure, hypothétique juge Brant Philip :
"Une [possibilité] serait une guerre interne éclatant au sein de l’armée, peut-être entre Assimi Goïta et Sadio Camara [le ministre de la Défense du Mali, en froid selon Jeune Afrique avec le général Goïta, chef d'État du Mali, NDLR]. Cela pourrait pousser le JNIM à s’emparer opportunément de certaines villes, voire de Bamako, mais personnellement je ne trouve pas cela très réaliste".
De toute manière, le JNIM ne serait tout simplement pas capable de gouverner une ville aussi étendue que Bamako et n'en aurait pas l’intention, du moins pour l'instant, estime de son côté Bakary Sambe :
"L’environnement malien est quand même assez différent de ce qu’on a pu voir en Syrie ou en Afghanistan. Les jihadistes sont conscients que la gouvernance d’un territoire sur le long terme est une autre chose. On peut bien savoir manier la Kalachnikov et la terreur, mais gérer un pays avec une gouvernance locale — l’eau, l’électricité, les services sociaux — c’est une autre affaire, qui n’est pas dans leur capacité."
Politiquement, une conquête de Bamako serait de toute manière compliquée pour le JNIM car elle le forcerait à administrer des populations potentiellement hostiles aux jihadistes notamment dans des villes comme Bamako, Kayes, Nioro ou Sikasso estime Brant Philip.
Une arrivée au pouvoir du JNIM pourrait cependant être possible à travers une éventuelle solution politique explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 : "[cela] serait uniquement possible à travers une coalition assez large [rassurant] les Bamakois et même [...] les soutiens du régime [...] qui mènerait éventuellement à une gouvernance islamique commune qui le dissocierait de la nébuleuse Al-Qaïda". Des discussions en ce sens auraient été entreprises avec des opposants du régime, estime le journaliste.