Ce jour-là, la file d’attente s’étale sur plusieurs mètres devant un gymnase situé à Charleville-Mézières, dans les Ardennes, pendant le Festival mondial des théâtres de marionnettes. Le lieu, aménagé en théâtre avec 385 fauteuils, affiche complet. Le spectacle L’Oiseau de Prométhée doit commencer à 20 heures. La majorité des gens ont réservé leur place très en avance. L’Oiseau, créé en 2023, remplit les salles grâce au bouche à oreille. La compagnie, la bien nommée Les Anges au plafond, fondée par Camille Trouvé et Brice Berthoud, aussi directeurs du CDN de Normandie-Rouen s’est fait un nom avec des formes mêlant art de la marionnette, théâtre, danse et musique.
En débardeur et pantalon orange, la blonde Rhiannon Morgan accueille les spectateurs. Actrice et danseuse, elle propose à une quinzaine de privilégiés d’assister à la représentation aux côtés de la troupe, sur le plateau. On a le choix : ou prendre place dans les gradins installés côté cour, ou, carrément, à une table du petit restaurant athénien près d’un bar qui constitue le décor, côté jardin. On hésite, mais l’occasion est trop rare et le nombre de places limité. « Tu vas dîner gratis ! », lance un confrère un peu jaloux. Juché sur un pan de bois, un vautour nous surveille en ricanant.
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Passer la publicitéOn s’assied près du comptoir où sévissent trois vieilles Parques sous les traits de marionnettes. On aperçoit le visage de Christelle Ferreira, qui les manipule avec célérité, elle ne se ménage pas. Ces fortes têtes de bois prédisent l’avenir tout en cuisinant des spécialités grecques. L’histoire nous plonge dans la crise économique du pays, d’hier et d’aujourd’hui. « Mangez ! », ordonne une Parque, seins nus bringuebalants en jetant un œil dans notre direction. Nous sommes quatre à une table, trois convives occupent la seconde. Voilà justement des olives et de la feta pour l’apéritif. « Voulez-vous du vin rouge ou du vin blanc ? Attention, c’est du vin de théâtre », glisse en souriant Rhiannon Morgan avec un léger accent. Tout le monde accepte de remplir son verre en plastique. La pièce doit durer une heure quarante-cinq, il fera soif. La comédienne pose également un pichet d’eau.
Un plat de loukoums roses saupoudrés de sucre glace
On grignote une olive en espérant que les spectateurs, le « peuple », ne nous voient pas, tandis que le funambule Olivier Roustan passe au-dessus de nous sur un fil tendu, une barre dans les mains. Les acteurs dressent une table au centre de la scène. Quatre amis, outre Rhiannon Morgan, Victoire Goupil, Elan Ben Ali et Achille Sauloup, se retrouvent après des années de séparation. Chacun fait le bilan de sa vie, parle de la dette grecque qui les a transformés. Fourchette en l’air, on sursaute en voyant surgir Zeus dont la colère est provoquée par Prométhée. Les protagonistes répètent le mot « austérité », on ose à peine piocher dans une assiette pourtant pleine à ras bord. Salade verte, tomates, dolmas, concombres et houmous nous font saliver.
Il est l’heure de dîner pour les artistes qui dressent d’ailleurs un banquet, le dernier partagé par les hommes et les dieux sur les musiques à la fois traditionnelles et modernes de Stéphane Tsapis. Ainsi l’ont décidé les auteurs, Camille Trouvé, Brice Berthoud et le romancier grec Christos Chryssopoulos (L’Oiseau de Prométhée, Éditions Signes et Balises). Victoire Goupil, Elan Ben Ali et Achille Sauloup manipulent les marionnettes d’Angela Merkel, de Christine Lagarde et d’Aléxis Tsipras, qui président aux destinées de la Grèce comme s’il s’agissait d’un jeu de société. Ouille ! Une Parque appelle Paul, l’un des invités de notre table. Elle le charge d’apporter le dessert, un plat de loukoums roses saupoudrés de sucre glace. Les meilleurs qu’on ait jamais goûtés ! Une jeune femme de la table voisine nous réclame l’assiette. On la lui donne avec regret. « C’était bon ? », demande une spectatrice à la fin. Oui !
Les 13 et 14 novembre à Thonon-les-Bains (74), les 15 et 16 janvier 2026 au Théâtre municipal de Coutances (50), etc.