Un poète, L’Étranger, Yoroï... Les films à voir et à éviter cette semaine

Un poète - À voir

Comédie dramatique de Simón Mesa Soto - 2 h 00

Oscar Restrepo a un goût immodéré pour l’alcool. Il lui arrive de passer la nuit sur un trottoir de Medellín, ivre mort. Oscar est surtout un poète. On écrit « surtout » mais on ne le voit jamais écrire. Sa gloire est derrière lui. Ou plutôt elle n’est jamais advenue. Pour camper ce personnage hors norme, Simón Mesa Soto a choisi l’oncle d’un ami qui n’est pas acteur, Ubeimar Ríos. Il a une tronche pas possible, un air chafouin, des yeux tristes derrière les verres de ses lunettes en cul de bouteille. Ubeimar Ríos est instituteur dans la vraie vie. Oscar, lui, devient professeur. C’est ainsi qu’il croit déceler chez une de ses élèves, Yurlady, un don pour la poésie. Il incite l’adolescente aux origines modestes à se présenter à un concours national de poésie.

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Oscar ne sera guère récompensé de ses efforts. On dirait qu’à chaque fois qu’il y a une mauvaise décision à prendre, il la prend. Comme de transporter dans sa voiture Yurlady imbibée d’alcool et de la déposer sur son palier. L’oncle de la jeune fille cherchera à lui soutirer de l’argent. Son frère voudra lui casser la gueule. Ses amis poètes lui tourneront le dos. La tragicomédie de Simón Mesa Soto est à l’image de son anti-héros. Brute, ingrate, dépenaillée. Le grain de la pellicule 16mm est un peu sale, pas très net. La caméra à l’épaule semble presque tituber par moments. Un charme certain se dégage néanmoins des déboires d’Oscar. É. S.

The Smashing Machine - À voir

Drame de Benny Safdie - 2 h 03

Dwayne « The Rock » Johnson comme on ne l’a jamais vu. Dans The Smashing Machine, récompensé du lion d’argent de la meilleure réalisation à la Mostra de Venise, premier film en solo de Benny Safdie (39 ans) sans son frère Josh, l’ancien catcheur devenu acteur de film d’action présente toujours une musculature hors norme. Produit par le studio indépendant A24, le film s’inspire de l’histoire de Mark Kerr, pionnier du MMA (les arts martiaux mixtes).

Le réalisateur raconte comment l’ancien champion de lutte s’est reconverti dans le « combat libre » au tournant des années 2000, explorant la face sombre de sa carrière, son addiction pour les analgésiques et sa relation houleuse avec sa femme Dawn Staples, joué par Emily Blunt. Avec un réalisme brutal, loin du lyrisme habituel des films de boxe (Rocky, Raging Bull), le film confirme le talent de Benny Safdie, après Good Time et Uncut Gems, coréalisés avec son frère aîné. É. S.

La Femme la plus riche du monde - À voir

Comédie dramatique de Thierry Klifa - 2 h 03

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Elle était éteinte. Il la réveille. Il était temps. Elle est milliardaire. Il est photographe. Les plus rétifs à l’actualité reconnaîtront là une variation à peine déguisée de l’affaire Bettencourt. Dans ce cadre luxueux, l’argent est tout sauf un problème. La dame, héritière d’un empire cosmétique, signe des chèques. Il feint de fermer les yeux. C’est trop. Les zéros s’ajoutent aux sommes de départ. La famille tord le nez. Elle s’en moque. Elle revit. L’intrus jubile, en profite.

Provocateur, mal élevé, Laurent Lafitte, les cheveux légèrement ondulés, teints d’un curieux roux, se pourlèche de sa performance. Il pisse dans les plates-bandes, nargue le personnel, agace le mari. Ça ne se fait pas de rappeler le passé vichyste du clan. Il est comme ça. La matriarche fond. Elle pouffe, s’offre une jeunesse à retardement. Dans ce rôle en or, Isabelle Huppert fait de l’effet. Elle s’y glisse avec une malice et un appétit qui n’excluent pas la drôlerie. Le drame palpite dans cet univers policé que Thierry Klifa montre avec un œil aiguisé et gourmand. Il transforme ce fait divers en comédie grinçante où les protagonistes s’expriment face caméra, comme dans Ce plaisir qu’on dit charnel. Les vraies vedettes sont peut-être les dialogues, signés Cédric Anger et Jacques Fieschi. É. N.

L’Étranger - À voir

Drame de François Ozon - 2 h 00

Le soleil est noir et blanc. Il brûle. Il lui arrive d’éblouir. Cela provoque des incidents. Meursault, plus ou moins par hasard, tue un Arabe. Il ne s’en cache pas. C’est comme si le geste lui avait échappé. Ni fier ni honteux, l’employé de bureau attend la suite. François Ozon, cinéaste inégal et inclassable, aux goûts un peu épars, s’est attaqué au monument d’Albert Camus. En 1967, Visconti, qui avait choisi la couleur et l’adaptation scrupuleuse, s’y était cassé les dents, handicapé par la présence d’un Mastroianni qui attirait beaucoup trop la sympathie. Ozon s’en tire mieux.

L’émotion est aux abonnés absents. Les larmes ne sont pas son fort, même à l’enterrement de sa mère. À son procès, les accusations glissent sur lui. On dirait qu’il est question d’un autre. Les charges sont accablantes. Le verdict ne fait pas un pli. Ça n’est pas lui qui protesterait. Ozon fixe un vertige. Il pose là-dessus un regard dur, coupant, d’une probité exemplaire. Il faut avouer qu’il est aidé dans cette tâche par un Benjamin Voisin inspiré, en retrait. Les comédiens qui l’entourent (Pierre LottinDenis LavantSwann ArlaudRebecca Marder) sont à la hauteur. É. N.

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Yoroï - On peut voir

Comédie d’action de David Tomaszewski - 1 h 46

Après un film autobiographique (Comment c’est loin) et une série documentaire (Montre jamais ça à Personne), Orelsan change de genre pour se donner le premier rôle. Yoroï, réalisé par David Tomaszewski, est du genre inclassable, entre autofiction et lettre d’amour à la pop culture japonaise, de Mon Voisin Totoro aux Chevaliers du Zodiac. Aurélien, star normande du rap, s’installe après une tournée éreintante au Japon avec sa femme Nanako (Clara Choï), championne d’arts martiaux enceinte jusqu’au cou. Loin du Chant des sirènes et du bruit des réseaux sociaux.

Une chute dans un puits lui fait découvrir une armure ancestrale qui réveille des Yokaïs. Des créatures hostiles comme autant de vieux démons à combattre : l’alcool, la cigarette, les potes toxiques, la famille, les meufs (éternelles tentatrices), les politiques. Si l’emballage est nouveau, Yoroï raconte la même histoire que Grosse fatigue trente ans plus tôt. Michel Blanc imaginait un sosie goujat et érotomane salissant sa réputation. Ici Orelsan affronte Orelsama, double maléfique. Orelsan, « nul en baston » selon sa femme (mais ben coaché), rêve sa vie en couleurs et exorcise sa pire crainte, « l’embouffonnement » - devenir un bouffon, un bourgeois, un vendu au système. É. S.

Regretting You – À éviter

Drame romantique de Josh Boone - 1 h 56

En une décennie, la mère de famille texane Colleen Hoover est devenue la reine des clubs de lecture de TikTok et un poids lourd de l’édition, avec 23 millions d’exemplaires vendus de ses romances et thrillers psychologiques. Sans surprise, Hollywood s’est lancé dans une boulimie d’adaptations. Regretting You surfe sur les mêmes ingrédients : du trauma, des histoires d’amour avortées. Morgan Grant (Allison Williams, Girls) a sacrifié ses rêves pour élever sa fille Clara (McKenna Grace), qu’elle a eu au sortir du lycée. Morgan veut éviter que sa fille commette les mêmes erreurs, quitte à l’étouffer. Cet équilibre précaire vole en éclat quand le père de Clara et sa tante sont tués dans un accident de voiture qui révèle leur liaison. Le choc pousse Clara à se rapprocher d’un camarade de classe rebelle, ce qui horrifie Morgan.

Par sa facture vintage et sa mièvrerie assumée, Regretting You rappelle les romcoms des années 90 et la série pour ados Dawson. Un type de fiction désuet devenu l’apanage des plateformes plutôt que des salles. Mais même en étant fleur bleue, difficile de ne pas être interloqué par le manque de profondeur de l’ensemble, cousu de fil blanc et d’un léger puritanisme. Pour une intrigue placée sous le signe du deuil, l’exploration de ses ravages brille par son absence. C. J.