"Le dialogue est rugueux et âpre" : on vous raconte les négociations entre le Parti socialiste et Matignon sur le budget

Le temps file vite dans les travées du Palais Bourbon. "Il reste 48 heures pour conclure", glisse un dirigeant socialiste dans la matinée du mardi 28 octobre. Entre Matignon et le parti de Jean Jaurès, "l'élastique se tend", confie-t-il même, alors que les débats sur la partie "recettes" du projet de lois de finance se poursuivent à l'Assemblée nationale. Au point de rompre ? "C'est le risque". L'objet du mariage ou du divorce entre le Premier ministre Sébastien Lecornu et les députés socialistes tient en quelques mots : la taxation des hauts patrimoines. Le sujet arrivera dans l'hémicycle au mieux mercredi soir, au pire vendredi, après les débats sur la niche du RN prévue jeudi, selon plusieurs sources parlementaires. 

Après avoir négocié la suspension de la réforme des retraites en échange d'une non-censure, le Parti socialiste a bien l'intention d'aller plus loin. Quitte à lancer à intervalles réguliers quelques ultimatums à destination de la macronie. "A la fin de cette semaine, nous saurons si nous allons à la dissolution ou pas", a résumé Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, sur LCI. "Si nous y allons (...), on peut considérer qu'il y aura les élections législatives au mois de novembre", le scrutin devant être organisé entre vingt et quarante jours après la dissolution.

Une menace à peine voilée que ne goûtent guère les soutiens de Sébastien Lecornu. "Je crois que personne n'est en position de lancer des ultimatums au regard de ce qu'est l'Assemblée nationale. Ni les socialistes, ni nous. Personne n'a aujourd'hui le luxe de l'hégémonie et ne peut prétendre imposer son programme", a rétorqué la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, sur BFMTV.

"La censure est toujours sur la table"

Dans les couloirs de la chambre basse du Parlement, les socialistes continuent de porter la fameuse taxe Zucman, que toute la gauche défend bec et ongles depuis plusieurs semaines. La mesure proposée par l'économiste du même nom prévoit un impôt minimum de 2% sur les patrimoines à partir de 100 millions d'euros. Critiquée par la droite et par les macronistes, cette taxe a très peu de chance de passer. Le PS a donc proposé une alternative sous forme d'amendement, une taxe Zucman "light", pour convaincre le centre de faire un pas vers lui : un impôt minimum de 3% sur les hauts patrimoines, à partir de 10 millions d'euros, en excluant les entreprises innovantes et familiales. "On va défendre Zucman bec et ongles, mais on a proposé cet amendement de repli. C'est ça ou rien et la censure est toujours sur la table", confie une députée socialiste. 

"On a surnommé notre proposition d'un impôt minimum sur les très hauts patrimoines [IMTHP] Imhotep. Ça veut dire : 'Celui qui vient en paix'", s'amuse un autre socialiste, en référence au nom de l'architecte de l'Egypte antique. Lui est plus nuancé sur les ultimatums lancés au gouvernement. "On va défendre Zucman et 'Imhotep', mais s'ils nous disent qu'ils n'en veulent pas et qu'ils nous proposent un autre système avec 8 à 9 milliards de rendement... Nous ne sommes pas dans la surenchère ou le chantage", poursuit-il. Mais à l'entendre, c'est dans le camp d'en face, que les positions sont figées. "Le dialogue est rugueux et âpre avec Matignon."

"La taxe Zucman, c'est un tsunami"

"Les négociations sont difficiles sur le fond, mais pas sur la forme. Sébastien Lecornu, ce n'est pas François Bayrou qui ne nous prenait pas au sérieux et était méprisant", embraye un autre député PS qui participe aux discussions. 

"Il faut arrêter de dire que l'on exagère sur nos demandes. Les macronistes n'auront pas de victoire puisque leur victoire, c'est qu'ils sont toujours à Matignon. Ils sont condamnés à subir des reculs."

Un député socialiste

à franceinfo

Mais, dans le camp d'en face, les positions sont elles aussi connues. Pas question de taxer les biens professionnels. Or, la taxe Zucman "light", malgré ses exemptions sur les entreprises familiales et les start-up, touche bien le patrimoine professionnel. "La Zucman 'light' est pire que tout ! Et comment définissez-vous une entreprise familiale ou innovante ? Il faut taxer les bénéfices", s'agace un député MoDem. "La taxe Zucman, c'est un tsunami, et son alternative, c'est encore pire", martèle le député macroniste Sylvain Maillard, qui craint la fuite hors de France d'"une partie des investissements".

"C'est une folie", appuie encore un autre député macroniste, rejoint par le Premier ministre lui-même. Lors de la réunion de groupe des députés Les Républicains à laquelle il a participé mardi midi, Sébastien Lecornu a eu cette formule qui ne souffre d'aucune ambiguïté, selon des participants à franceinfo. "Sur la fiscalité, j'ai toujours été clair : tout débat sur le lait est ouvert, mais c'est un débat qui doit se faire sur le partage du lait. Pas sur le fait de tuer la vache."

"Pour rien au monde, on ne doit toucher au patrimoine professionnel."

Sébastien Lecornu, Premier ministre

lors de la réunion du groupe Les Répubicains

"Moi, je vote la taxe Zucman 'light' et je ne suis pas le seul", glisse, au contraire, un représentant de l'aile gauche du camp présidentiel. Il estime à "une quinzaine" le nombre de députés prêts à la soutenir avec lui. Insuffisant. Il faudrait que le bloc central mêle ses voix à la gauche pour que l'amendement passe, d'autant que le Rassemblement national a exclu de le voter. La taxe Zucman, c'est "non. Ni light, ni hard, ni rien du tout", a assuré Marine Le Pen, la présidente du groupe RN. 

"Les macronistes ne sont pas au rendez-vous"

Les cadres de la macronie espèrent que Matignon arrachera un autre compromis avec le PS qui puisse satisfaire tout le monde. Mais, le lien de confiance avec Matignon s'est brutalement tendu lundi après-midi. Le gouvernement a déposé, à la surprise générale, un amendement visant à faire passer le rendement de la taxe sur les bénéfices des entreprises à 6 milliards d'euros, contre 4 milliards prévus dans le projet de loi de finances 2026. "Dingue", pianote sur son téléphone un député macroniste, alors que son groupe voulait diminuer cette surtaxe. "C'est une voie de compromis", assure un proche du Premier ministre à franceinfo. Et un geste clair en direction de la gauche.

L'amendement est adopté lundi après-midi, mais divise profondément le groupe macroniste : 7 ont voté pour, 13 contre et 5 se sont abstenus, tandis que d'autres n'ont pas pris part au vote. A la sortie du scrutin, la gauche s'est étonnée du manque de soutien au sein du camp présidentiel. "Les députés macronistes ne sont pas au rendez-vous du compromis, alors que c'est un amendement de leur gouvernement, s'agace un élu socialiste. Il y a un risque de dissolution s'ils persistent dans cette voie." Une attitude qui laisse de marbre les députés macronistes. "Il faut demander aux socialistes s'ils sont en colère ou font semblant d'être en colère !" glisse un parlementaire, qui se demande si ce geste du gouvernement ne fait pas partie d'un compromis plus global. "Je souhaite qu'il y ait un deal et qu'il soit implicite, parce que s'il n'y a pas de deal, lâcher 5 balles à votre racketteur en espérant qu'il arrête, ça ne marche pas comme ça", ajoute-t-il, en colère.

Les socialistes, eux, n'ont pas l'intention de relâcher la pression. "Si le gouvernement n'est pas ouvert, ce sera la censure", a affirmé le député socialiste Romain Eskenazi en conférence de presse mardi. "C'est leur problème [la censure], pas le nôtre et le compromis, ça ne peut pas être que dans un sens", rétorque quelques instants plus tard Sylvain Maillard. Si elle existe, la voie de passage semble bien étroite.