«Un acte de souveraineté fiscale.» Alors que les discussions budgétaires se poursuivent à l’Assemblée, les députés vont notamment se pencher ces prochains jours sur un amendement, déposé par l’élu Renaissance Jean-René Cazeneuve, alourdissant la «taxe sur les services numériques», dite «taxe Gafam» - un acronyme pour désigner Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft. Un texte adopté en commission des Finances la semaine dernière, malgré l’opposition de longue date de Donald Trump à une telle taxation.
Dès l’instauration de cette taxe en 2019, le président américain, alors dans son premier mandat, avait vertement réagi et dénoncé la «stupidité» d’Emmanuel Macron, menaçant même de taxer le vin français en représailles. En 2020, Washington avait également agité la menace de droits de douane supplémentaires de 25% sur d’autres produits tricolores exportés aux États-Unis, d’une valeur de 1,3 milliard de dollars, comme le champagne, le roquefort, les produits de beauté ou les sacs à main.
Passer la publicitéUne taxe «discriminatoire»
Robert Lighthizer, le représentant au Commerce de Donald Trump, avait dénoncé à l’époque une taxe «qui cible injustement les entreprises de technologie numérique américaines». L’année précédente, il avait déjà qualifié cette taxe de «déraisonnable ou discriminatoire». Toutefois, l’application de ces représailles américaines avait immédiatement été gelée pour permettre de trouver une résolution négociée à ce conflit. Si l’administration Biden avait repris à son compte cette menace, elle avait finalement été abandonnée en 2021, après un accord au niveau de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sur une réforme de la fiscalité internationale.
On pensait l’histoire terminée. Jusqu’à ce qu’en février dernier, Donald Trump publie une feuille de route pour la mise en œuvre de taxes dites réciproques, afin de «rétablir l’équité» dans les relations commerciales entre les États-Unis et le reste du monde. Dans son viseur notamment, les taxes sur les services numériques de la France et du Canada, qui coûteraient «plus de 2 milliards de dollars par an aux firmes américaines». Si la taxe Gafam tricolore cible au total une trentaine d’entreprises du numérique, dont le français Criteo, les géants américains du secteur – dont les célèbres Gafam – en sont de loin les premiers contributeurs. «Nous maintenons la taxe ; c’est la loi française», avait réagi à l’époque le ministre de l’Économie, Éric Lombard.
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Multiplication par cinq du taux de la taxe Gafam
Les députés français veulent désormais aller plus loin que la loi française actuelle. Dans l’amendement voté en commission figure une multiplication par cinq du taux de la taxe Gafam, de 3 à 15%, afin de le mettre au même niveau que les droits de douane américains contre les produits européens exportés outre-Atlantique. Le texte propose également un relèvement du seuil de taxation au niveau mondial, pour que la taxe concerne uniquement les entreprises numériques générant plus de 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires, contre 750 millions jusqu’ici. Une façon d’«éviter d’embarquer des acteurs français comme Leboncoin», a expliqué Jean-René Cazeneuve à l’AFP.
L’amendement du député centriste justifie cet alourdissement par le rendement de la taxe, estimé à 774 millions d’euros en 2025, qui «demeure sans rapport avec les profits réalisés en France par les grands groupes du secteur». La taxe pourrait rapporter «quelques milliards d’euros», a-t-il expliqué à ses collègues en commission. Dans l’exposé de son texte, il précise néanmoins que «cette mesure s’inscrit dans l’attente de la mise en œuvre du dispositif multilatéral de taxation des grandes entreprises numériques prévu par l’OCDE», dont les discussions semblent aujourd’hui à l’arrêt. Bien que le chemin vers l’adoption définitive du budget et donc de cette mesure soit encore long, la Chambre américaine de commerce en France (AmCham) a d’ores et déjà exprimé «sa profonde préoccupation face à une mesure qui aurait pour conséquence inévitable d’affaiblir l’attractivité de la France et de freiner les investissements internationaux, en particulier américains».