«Notre histoire est devenue un symbole» : vingt ans après, Clichy-sous-Bois rend hommage à Zyed Benna et Bouna Traoré

Lundi 27 octobre, midi, une petite foule silencieuse s’attroupe devant le collège Robert Doisneau. Vingt ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) rendait hommage à ceux dont le décès avait embrasé la France à l’automne 2005. Âgés de 17 et 15 ans, les deux adolescents s’étaient réfugiés dans l’enceinte d’un poste électrique pour échapper à un contrôle de police. Alors qu’ils se croyaient à l’abri, un arc électrique s’est formé, électrocutant les deux adolescents. Une décharge mortelle de plusieurs milliers de volts et les banlieues se soulevaient contre la police, qui, estimaient-elles, avait laissé mourir deux des leurs. Au terme de trois semaines, des émeutes d’une violence inédite laissaient derrière elles trois morts, près de 10.000 véhicules en cendres, plus de 200 bâtiments endommagés ou détruits, et 2921 personnes interpellées. Vingt ans plus tard, Clichy-sous-Bois n’a pas oublié, mais une page s’est tournée.

Les bourrasques qui soufflent ce jour ne suffisent pas à chasser la foule. La colline de Clichy-sous-Bois domine le dôme de béton du collège Robert Doisneau, ses parterres de verdure, son verger participatif et sa plaque commémorative du destin brutal des deux adolescents.

Devant le collège Robert Doisneau, une plaque commémorative pour les deux adolescents. Paul de Breteuil
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C’est là que la ville et les proches ont tenu cérémonie. Là aussi que les derniers coups de pelle retournent la terre grasse, habitacle d’un arbuste planté pour l’occasion. Cet arbre, un ginkgo biloba, a été choisi «pour sa force et sa beauté». «C’est l’un des rares arbres à avoir survécu à Hiroshima», explique Olivier Klein, maire de Clichy-sous-Bois, dans son allocution. «Ici, à Clichy, il portera la mémoire de Zyed et Bouna». «Clichy-sous-Bois est une ville debout. Une ville blessée parfois, mais jamais résignée», conclut-il enfin.

Un ginkgo biloba, a été planté «pour sa force et sa beauté». Paul de Breteuil

«On aimerait faire notre deuil»

Sur place, l’émotion est palpable. Si la famille de Zyed Benna a quitté la France, celle de Bouna Traoré habite toujours le quartier. Une petite-nièce de Bouna Traoré s’approche. Âgée de 9 ans, elle n’a pas connu l’année 2005. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir grandi avec la mémoire de son oncle. «Un jour j’ai découvert la nouvelle sur les réseaux sociaux, alors mon père m’a tout raconté. Ça m’a rendu triste.» confie-t-elle. Elle qui rêvait de devenir policière dit n’en avoir actuellement plus l’envie. «J’ai un petit peu peur avec la police».

En 2015, le tribunal de Rennes a définitivement relaxé les deux policiers à la vue de qui Zyed et Benna s’étaient enfuis. Ils étaient accusés de non-assistance à personne en danger. Une décision de justice que ne comprend toujours pas la famille Traoré. «On a du mal à l’accepter», confie l’un des frères aînés de Bouna Traoré. Néanmoins, «la police ne se résume pas à 3-4 personnes», tempère-t-il. Aujourd’hui, il n’aspire qu’à une chose : «On aimerait faire notre deuil et passer à autre chose, mais malheureusement notre histoire est devenue un symbole. On n’a aucune maîtrise dessus».

Après la cérémonie tous les proches se retrouvent dans l’orangerie de l’hôtel de ville. Paul de Breteuil

Clichy-sous-Bois se reconstruit

Après la cérémonie, tous les proches se retrouvent dans l’orangerie de l’hôtel de ville. Parmi eux, Aminata, 29 ans, habite le quartier. Sa famille est proche des Traoré. « Chaque année, je viens soutenir la famille, être à ses côtés, présenter mes condoléances», explique-t-elle. «Même si les années passent, la douleur ne disparaît pas totalement», témoigne la jeune femme. «On continue de se souvenir, mais on essaie de vivre avec». Les habitants de Clichy-sous-Bois n’oublieront pas. «Ce qui nous a réconfortés depuis le début, c’est la présence des habitants, de tout le quartier, de la ville entière. On sent qu’on n’est pas seuls, même après vingt ans.», confie-t-elle.

Depuis 2005 et les émeutes qui l’avaient dévasté, la ville s’est reconstruite. Une fierté pour Olivier Klein qui, à l’époque des faits, était premier adjoint au maire. Celui qui est devenu maire de Clichy-sous-Bois voit une «ville méconnaissable». «Les logements, le tramway, les écoles : tout cela a contribué à reconstruire un environnement pour nos enfants.» Il nuance toutefois : «Il reste des fragilités. On fait en sorte que les familles aient envie de rester ici, de continuer à vivre ici malgré le passé.»