Au lendemain d’une semaine agitée en commission sur le projet de budget, élus et parlementaires commentent les tensions politiques autour des mesures fiscales et de la réforme des retraites. Invitée sur le plateau des "4 Vérités" ce vendredi 24 octobre, Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, a défendu le projet du gouvernement et insisté sur la nécessité du débat et du compromis face aux blocages constatés.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.
Jeff Witenberg : Est-ce que vous parvenez à conserver une certaine dose d’optimisme alors que le projet de budget arrive aujourd’hui dans l’hémicycle, après une semaine pour le moins compliquée en commission ? Je rappelle que cette partie “recettes” du budget a déjà été rejetée. Nous avons enregistré seulement 37 votes en faveur. Il y'a également le rapporteur général du budget lui-même, monsieur Philippe Juvin, qui a déclaré, je le cite, que ce budget "n’est pas crédible". Ne pensez-vous pas que la situation commence mal ?
Amélie de Montchalin : Ce que je constate, c’est qu’il y a deux semaines, nous étions dans une situation où l’on disait qu’il n’y aurait pas de budget. Puis, il y a une semaine, les commentateurs affirmaient qu’il n’y aurait même pas de débat. Or, si l’on regarde ces deux dernières semaines, un projet de texte existe je souligne le mot "projet" et un débat a commencé.
Jeff Witenberg : Mais le projet de texte a été rejeté en commission.
Amélie de Montchalin : La commission, c’est un moment où les députés peuvent formuler des propositions. D’ailleurs, ils ont voté des mesures parfois contradictoires. Notre rôle, celui du gouvernement, dans cette situation politique particulière, est clair : nous n’avons pas de majorité absolue, et le Premier ministre a d’ores et déjà annoncé que nous n’utiliserons pas le fameux 49.3. Nous voulons un débat et nous cherchons un compromis. Un débat public, démocratique et transparent, qui commence cet après-midi, et où chacun pourra constater les positions de tous : le Rassemblement national et la France Insoumise refusent le débat et ne souhaitent pas faire avancer les choses.
Jeff Witenberg : Mais vos difficultés ne se limitent pas à ces partis. Si je puis me permettre, elles concernent également la droite, le Socle commun, et même vos alliés.
Amélie de Montchalin : Qu’est-ce qu’un compromis ? C’est un moment où les forces politiques se rappellent que nous ne sommes pas là pour avoir raison individuellement, mais pour servir les Français et restaurer la cohérence de notre action. Nous avons avancé : il existe un projet de budget et un débat a lieu. Je reste convaincue que le compromis est possible.
Jeff Witenberg : Il faut construire concrètement pour les Français. Le temps étant limité, entrons dans le vif du sujet : la fameuse taxe Zucman, qui divise depuis longtemps. La gauche la réclame systématiquement, tandis que le Socle commun la rejette. Le problème de la contribution des foyers fiscaux les plus riches demeure entier. Allez-vous proposer de nouvelles solutions face à ce blocage ?
Amélie de Montchalin : Il y a ceux qui veulent des symboles et nous, nous voulons la justice et l’efficacité. Nous voulons lutter contre la suroptimisation, mais sans nuire aux entreprises, aux entrepreneurs ou à la réussite individuelle. La question est simple : voulons-nous de la justice ou des symboles ? C’est le débat que nous allons mener.
Jeff Witenberg : Est-ce que ce sont des symboles ou simplement des mots ? Par exemple, sur la suspension des retraites, vous avez finalement parlé de "suspension" plutôt que de "décalage" ou de "report". Ne finirez-vous pas par céder pour satisfaire les partis socialistes, qui détiennent une partie de la clé du gouvernement ?
Amélie de Montchalin : Peut-on accorder le crédit de la bonne foi au Premier ministre ? Nous prenons des engagements et les traduisons concrètement. Hier, lors du Conseil des ministres, nous avons adopté une lettre rectificative pour ajuster notre proposition de budget pour la sécurité sociale afin qu’elle corresponde à ce que le Premier ministre a annoncé à l’Assemblée nationale.
Jeff Witenberg : Le président Emmanuel Macron ne vous a-t-il pas gênée cette semaine en parlant d’un simple "décalage" ? Cela n’a pas facilité les choses et vous a obligée à préciser la position du gouvernement.
Amélie de Montchalin : En suspendant la montée en charge de la réforme jusqu’à la présidentielle, les Français pourront partir à la retraite de manière différée, par exemple trois mois plus tôt.
Jeff Witenberg : Vous comprenez que les propos du président ont pu semer le doute : suspension ou simple report ?
Amélie de Montchalin : C’est bien une suspension. Et le président a précisé qu’en cas d’accord entre les forces politiques, mais aussi les syndicats et le patronat, un nouveau système de retraite pourrait même être soumis à référendum. La suspension n’a pas pour objectif de gagner du temps, mais de permettre un vrai débat, attendu par les Français. Nous voulons avancer de manière constructive et transparente, et non tourner en rond.
Jeff Witenberg : Revenons à la partie recettes du projet de budget, qui sera examinée cet après-midi à partir de 15h. La proposition de suppression de l’abattement de 10 % pour les retraités au profit d’un abattement forfaitaire de 2 000 euros a également été rejetée en commission. Allez-vous maintenir cette mesure, qui pourrait pénaliser des millions de retraités ?
Amélie de Montchalin : Comme l’a indiqué le Premier ministre : le gouvernement propose, les parlementaires débattent et votent. Je défendrai dans l’hémicycle l’intérêt de cette mesure. Il s’agit d’un abattement, et non d’une suppression.
Jeff Witenberg : Un abattement forfaitaire de 2 000 euros au lieu des 10 % actuels.
Amélie de Montchalin : Cet abattement permettra à un quart des retraités imposables de payer moins d’impôts. Pourquoi ? Par souci d’équité : les retraités les plus aisés contribueront un peu davantage, ce qui bénéficiera aux autres.
Jeff Witenberg : Mais parmi les trois quarts qui paieront plus, il n’y a pas que des riches.
Amélie de Montchalin : 84 % de l’impact de cette mesure concernera les 20 % des retraités les plus aisés. Ce sera un sujet de débat, et je mettrai les choses au clair : il s’agit de tenir compte à la fois de l’âge et des revenus, et de garantir un impôt plus progressif. Notre proposition a été conçue dans cet esprit. À la fin, ce sont les parlementaires qui voteront : le pouvoir est entre leurs mains.
Ce texte correspond à une partie de la retranscription de l'interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour la regarder en intégralité.