La France a arraisonné un pétrolier russe qui pourrait avoir servi de base pour l’envoi de drones au Danemark. Mais finalement, il a été relâché, bien qu’il fasse partie de cette flotte fantôme qui permet à la Russie d'exporter ses hydrocarbures. Cet épisode rappelle les chalutiers soviétiques de la Guerre froide.
L’utilisation de la marine civile pour des opérations d’espionnage ou des actions militaires, en effet, a une longue tradition en Russie. Tout au long de la Guerre froide, les chalutiers soviétiques étaient des outils d’espionnage et d’écoute des marines des pays occidentaux. Ils naviguaient en mer Baltique, mais pas seulement, car ils restaient dans les eaux internationales pour repérer les mouvements des flottes. Ils étaient particulièrement intéressés par les porte-avions. Dès 1961, un reportage américain décrivait l’arraisonnement d’un bateau de pêche soviétique soupçonné d’espionnage aux Philippines. Mais il avait été libéré, faute de preuves à l’encontre de ses marins.
L’autre passion de ces chalutiers était de repérer les sous-marins atomiques. C’est pourquoi, en France, nous avons eu maille à partir avec eux. Leur cible : la base des sous-marins stratégiques de l’Île Longue, dans la rade de Brest. Dès les années 1960, une sorte de ballet maritime hypocrite amène les bateaux russes dans cette zone — besoin d’avitailler, de réparer ou autre prétexte. Personne n’est dupe, car l’aviation maritime et la Marine nationale surveillent les mouvements de ces bateaux espions.
En 1983, le maire de Brest, Jacques Berthelot, pousse un coup de gueule. Selon lui, les Soviétiques auraient, cette année-là, franchi un pas honteux : ils auraient largué dans le goulet de la rade des explosifs destinés à un sous-marin français. Et un Tupolev, avion d’espionnage soviétique, aurait survolé la base française. La Marine nationale dément, mais le maire persiste et dénonce le jumelage que la ville entretenait avec Tallinn, alors située en Union soviétique. En fait, tout au long des années 1960-1970, les marins-pêcheurs français critiquaient les Soviétiques, qui s’en prenaient à leurs bancs de pêche. Ceci explique cela.
La France aussi
Les bateaux espions ne sont pas une nouveauté pour nous. La France possédait aussi des chalutiers équipés pour le renseignement. Et même pendant la Première Guerre mondiale, nous avons eu des bateaux-pièges. C’est une idée venue d’un Français, médecin et explorateur : le commandant Jean-Baptiste Charcot. Il avait convaincu les Britanniques de construire un bateau, le Meg — du nom de sa femme —, pour espionner les mouvements des sous-marins allemands. Puis il perfectionna l’idée, en faisant construire des navires destinés à attirer les sous-marins ennemis : ils feignaient d’être des navires de commerce pour ensuite leur tirer dessus à bout portant.
On l’aura compris : les bateaux espions existent. Ce ne sont ni des vaisseaux fantômes, ni des fantasmes.