Deux phalanges manquent à son petit doigt gauche. Cette mutilation, acte rituel de pénitence dans le milieu yakuza, rappelle à Mako Nishimura le prix de ses erreurs passées. À 58 ans, cette ancienne criminelle aux cheveux blonds décolorés dirige aujourd’hui la branche de Gifu du Gojinkai, une association qui aide les ex-mafieux à retrouver une place dans la société japonaise. Un parcours de rédemption entamé il y a huit ans, après trois décennies passées dans l’univers impitoyable du crime organisé nippon.
Son petit appartement du département rural de Gifu ne laisse rien transparaître de son passé sulfureux. Le seul indice alors ? Les tatouages de dragons et de tigres qui couvrent son corps frêle. «Je voulais être reconnue comme une yakuza», confie-t-elle à l’AFP. «Alors j’ai appris à parler, à me comporter et à me battre comme un homme.» Mako Nishimura affirme avoir été officiellement reconnue par les autorités comme la première femme yakuza après avoir été incarcérée pour possession de drogue à l’âge de 22 ans.
Passer la publicitéVie de violence
Issue d’une famille stricte, Mako Nishimura fugue à l’adolescence. La rue devient son école, le crime son gagne-pain. À 20 ans, elle intègre l’une des grandes organisations yakuza du pays. Bagarres, extorsions, trafic de stimulants : le quotidien de cette jeune femme se résume à la violence et à l’argent sale. «Les criminels des gangs rivaux me méprisaient simplement parce que j’étais une femme, ce que je détestais», se souvient-elle avec amertume.
La naissance de son fils à la fin de la vingtaine bouleverse temporairement sa trajectoire. «Pour la première fois, j’ai ressenti un instinct maternel. Il était si mignon, j’aurais pu mourir pour lui.» Elle quitte le milieu, se marie, entreprend des études dans le secteur de la santé. Mais ses tatouages la trahissent. Licenciée, rejetée par la société civile, elle replonge dans le trafic de drogue.
Le déclin des seigneurs du crime
Son retour chez les yakuza vers la fin de la quarantaine lui révèle l’ampleur du déclin de cette organisation autrefois toute-puissante. Le clan qu’elle retrouve n’a plus rien de sa splendeur passée.
Les yakuza ont prospéré dans le chaos d’après-guerre au Japon, parfois perçus comme un mal nécessaire pour maintenir l’ordre dans les rues. Ils existent encore dans une zone grise semi-légale, mais les strictes lois anti-gangs ont réduit le champ de leurs activités. «Les yakuza étaient les rois des voyous», dit-elle. Pourtant, elle claque définitivement la porte de l’organisation, choquée à la vue de son ancien chef peiner à joindre les deux bouts.
Les chiffres confirment le déclin des yakuza : moins de 20.000 membres recensés l’an dernier au Japon, une première depuis 1958. Il faut dire que les lois anti-mafia adoptées ces dernières années ont considérablement réduit le champ d’action de ces organisations criminelles qui contrôlaient autrefois les trafics de drogue, les tripots clandestins et le commerce du sexe dans l’archipel.
Passer la publicitéUne nouvelle vie sur les décombres du passé
Aujourd’hui, Mako Nishimura travaille sur des chantiers de démolition, l’un des rares secteurs qui tolère ses tatouages. Chaque mois, elle organise des opérations de ramassage de déchets avec son groupe d’anciens durs à cuire. «C’est comme une grande sœur. Elle nous gronde quand il le faut», témoigne Yuji Moriyama, 55 ans, membre de l’association Gojinkai. Il se souvient encore du jour où elle l’a forcé à s’agenouiller pour s’excuser. «Elle m’a fichu une de ces trouilles», plaisante-t-il.
Pour Mako Nishimura, «l’idée de faire quelque chose de bien pour les autres me donne confiance», dit-elle. «Je redeviens lentement un être humain comme les autres.» Les revenus de son autobiographie récemment publiée lui permettent de subsister tandis qu’elle œuvre sous la tutelle de Satoru Takegaki, président du Gojinkai et ancien gangster de renom. Nishimura a en tout cas une intuition : «Je pense que les yakuza vont continuer à décliner», prophétise-t-elle. «J’espère qu’ils disparaîtront.»